Objectif lune
Catégorie: Le plus beau métier du monde
Certains s'étonnent que j'ai fait autant de chose pour l'école durant mes vacances, que j'ai pu bosser autant. Mais pour moi, être prof c'est un peu comme... être astronaute. Imaginez:
Quelque part sur une obscure base de lancement spatial...
Le vieux cornac monte dans l'habitacle, vérifie les voyants, les indicateurs, tapote à droite à gauche, remet en ordre sa combinaison sans âge, prend place dans le fauteuil, et commence à se sangler méticuleusement avec un tas de ficelles et de tendeurs. Il fait des noeuds, resserre les sangles, refaits des noeuds...
Le jeune pilote fougueux rentre là dedans, avise la mécanique, s'extasie sur les instruments de vols, conquérant dans sa combinaison flambant neuve.
Le vieux cornac lui dit de s'asseoir et de se sangler. Le jeune pilote fougueux rigole, charie sur la combinaison miteuse du vieux cornac. Le vieux cornac lui répète de s'asseoir et de se sangler. Le jeune pilote lui montre comment, sur sa super combinaison flambant neuve, y'a juste qu'à cliquer le mousqueton. Le vieux cornac lui répond qu'il devrait s'asseoir et se sangler bien serré. Pas la peine, renchérit le jeune pilote fougueux. Il prend place dans son fauteuil et cliquète son mousqueton sous l'oeil torve du vieux cornac.
Décollage.
Le vieux cornac, visage crispé, encaisse le choc, tenu en place par la toile de sangles et de noeuds qu'il a tissé autour de lui.
Le jeune pilote fougueux, s'accroche de tous ses ongles et de toutes ses dents à l'appui tête de son fauteuil pour ne pas finir écraser façon crumble dans le fond de l'engin spatial. Le mousqueton a pété depuis longtemps.
Vol en orbite.
Le vieux cornac, concentré mais serein, toujours sanglé sur son fauteuil comme au premier jour surveille attentivement les instruments de bord. Il relève les mesures et garde le cap, assure la navigation comme un vieux cornac qu'il est.
Le jeune pilote fougueux passe son temps à nager une brasse impossible dans une apesanteur merdique et à se cogner la tête contre tout ce qui passe à portée, incapable qu'il est de regagner son fauteuil et d'y rester en place. Il n'avise les instruments de mesure que de loin, ou alors vite fait en passant, quand il arrive à nager jusqu'à eux.
Atterrissage.
Le vieux cornac s'accroche à ses noeuds et serre les dents. Rien d'autre à faire.
Le jeune pilote fait ventouse sur le hublot avant de l'engin spatial et bave abondamment en hurlant de peur.
A l'arrivée...
Le vieux cornac défait les sangles, les unes après les autres, et se dégourdit enfin les jambes tandis que le jeune pilote fougueux achève de se pisser dessus.
...
Moi je suis comme le vieux cornac. Après deux ans passés aux commandes, je sais pertinnement que la putain de super combinaison qu'on nous fournit à la base c'est du chiqué, et que si t'y vas pas à l'artisanal, à ta manière, ben tu finis en pièces, en miette, laminé. J'ai donné. Moi aussi j'ai été le jeune pilote fougueux qui passe son temps à gerber ses tripes du début à la fin du voyage.
Alors voilà. Cet été, j'ai sorti mes tendeurs, mes sangles, et j'ai commencé à faire des noeuds. Ca en étonne certains, ça en ferait presque rire d'autres... mais franchement, je m'en fous. Ca devrait pluôt les questionner, voir les inquiéter. Parce que croyez-moi, je connais l'énormité du truc, je sais très bien ce que je fais et à quoi je me prépare.
A une nouvelle année en orbite. Tout simplement.